Des statues pour mémoire? Espace public et colonisation

Ecole d’été
Paris, 27 et 28 juin 2023

Présentation

Depuis 2015 et le début du mouvement « #Rhodes Must Fall », à l’université du Cap en Afrique du Sud, les statues d’agents impliqués dans l’esclavage et l’expansion impériale sont contestées partout dans le monde. Ces contestations ont atteint un niveau inédit de visibilité lors du « Black Spring » de 2020 (Kelley 2022), d’abord en France, où des statues de l’homme politique libéral Victor Schoelcher ont été la cible de nouvelles contestations en Martinique, puis au Royaume-Uni, où la statue du trafiquant d’êtres humains et philanthrope local Edward Colston a été jetée dans le port de Bristol. A l’autre bout du spectre politique, la statue d’une figure anticolonialiste, celle d’Abdelkader, a également été prise à parti à Amboise en 2022. Cette séquence d’iconoclasme fait l’objet de nombreux débats sociétaux et médiatiques et d’un nombre croissant de travaux académiques. Le projet franco-britannique Cast in Stone vise à aborder ces débats actuels sur les statues et monuments liés au colonialisme en France et en Grande-Bretagne. Dans cette optique, l’équipe du projet travaille à la création d’un site internet regroupant et analysant des biographies des statues et monuments contestés, en éclairant les parcours de ces objets, les événements qui entourent leur existence, les contestations qui les transforment et les perspectives des personnes qui les contestent.

Cast in Stone examine ce que les statues liées au colonialisme expriment dans l’espace public en France et en Grande-Bretagne et comment elles participent au façonnement de cet espace social vécu et partagé (Anderson and Pildes 2000). Leur fonction de célébration de valeurs et de commémoration du passé à travers la figure de grands hommes s’accompagne d’une forme de sacralisation, distinguant ces grands hommes de ce qui serait commun, par le biais de dispositifs artistiques comme le piédestal ou le choix du matériau (Lalouette, 2021; Tillier, 2022). Pour analyser le “pouvoir” de mémoire des statues, entendu comme ce qu’elles peuvent mais également comme l’ensemble des rapports de force et de domination qu’elles incarnent, Cast in Stone croise le regard de différentes disciplines. Par exemple, l’histoire de l’art nous éclaire sur les dispositifs choisis pour la statuaire publique et leurs devenirs possibles (Caillet, 2017; Garcia, 2020) ; la sociologie ou la science politique fournissent des éléments de réflexion sur les effets des commémorations sur les publics, qui ne sont plus considérés comme des réceptacles passifs d’un message mémoriel mais comme des acteurs se réappropriant les informations de manière subjective, à la lumière de leurs histoires individuelles (Antichan, Gensburger, Teboul, 2016); la géographie historique examine la puissance et la performativité des monuments dans l’espace public en même temps que la manière dont les interactions entre les individus façonnent cet espace (Johnson, 1995), tandis que l’histoire porte l’attention sur l’élaboration et les usages des politiques mémorielles (Ledoux, 2016 ;  Gensburger & Lefranc, 2020 [2017]). Dans cette optique pluridisciplinaire, les outils conceptuels forgés par les Memory Studies, s’avèrent particulièrement utiles. En parlant de « mémoires multidirectionnelles », on peut pleinement prendre en compte le caractère évolutif dans le temps des mémoires, la part des contingences, des parcours personnels et des inscriptions sociales dans leurs constitution, ou encore leur caractère rhizomique (Rothberg, 2010 ; Ledoux, 2012).

Objectifs

L’école d’été de Cast in Stone s’intéresse précisément aux processus de production des mémoires. À partir d’études de cas précises de monuments, nous nous demanderons collectivement : quelle est la mémoire du colonialisme que portent ou que produisent ces monuments ? comment notre compréhension du présent est-elle modelée en agissant ou en interagissant avec ces objets? et enfin quels sont ou peuvent être ces moyens d’action des acteurs engagés dans la contestation ou la patrimonialisation des monuments ?

Les buts de l’école d’été sont ceux définis pour le projet Cast in Stone : faciliter le dialogue autour du colonialisme, des processus de patrimonialisation, des espaces publics et de la citoyenneté inclusive. Ces quatre objectifs seront atteints en :   

  • En partageant les résultats de recherche théoriques et factuels de Cast in Stone comme matériaux de travail.
  • Proposant une session de formation à des doctorant.e.s en histoire, histoire de l’art, études muséales et géographie qui cherchent à construire leur recherche et/ou leur travail professionnel autour des questions de patrimonialisation et de mémoire du colonialisme.
  • Organisant une visite guidée de monuments contestés dans le quartier latin.
  • Fournissant des clés de compréhension du cadre juridique régissant la statuaire publique et ses changements de destination, à partir de l’expérience d’une juriste spécialiste de l’art et des collections artistiques.
  • Invitant à participer à des échanges de pratiques et d’expériences entre différents types de d’acteurs impliqués dans les débats sur les statues coloniales ou qui s’intéressent plus largement à la mémoire du passé colonial, de manière à prendre en compte de différents points de vue et à composer avec eux.
  • Examinant les solutions alternatives pouvant être apportées à des cas précis de contestations, à travers un atelier collaboratif et avec l’aide de facilitateur.rice.s issu.e.s du monde artistique ou muséal.

Comité scientifique

  • Emmanuelle Sibeud, Historienne, Professeure à l’Université Paris 8
  • Nandini Chatterjee, Historienne, Professeure à l’Université d’Exeter
  • Julie Marquet, Historienne, maîtresse de conférences à l’Université du Littoral Côte d’Opale
  • Lise Puyo, Anthropologue, postdoctorante du Labex Les passés dans le présent
  • Nathaniel Adam Tobias Coleman, Historien des idées, postdoctorant à l’Université d’Exeter
  • Claire Garcia, Historienne de l’art, chargée de programmation aux Beaux-Arts de Paris
  • Alan Lester, Géographe spécialiste de géographie historique, Professeur à l’Université de Sussex
  • Camille Mathieu, Historienne de l’art, Lecturer à l’Université d’Exeter
  • Anna Seiderer, Philosophe de l’art, maîtresse de conférences à l’Université Paris 8
  • Nicola Thomas, Géographe spécialiste de géographie historique, Professeure à l’Université d’Exeter
  • Andrea Wallace, Juriste, Lecturer à l’Université d’Exeter

Conditions d’accueil et de participation

L’école d’été se tiendra à Paris les 27 et 28 juin 2023.

Elle s’adresse tout particulièrement aux doctorant.e.s en sciences humaines et sociales intéressé.e.s par les mémoires du colonialisme, mais elle est également ouverte aux collègues statutaires, aux activistes et aux professionnel.le.s du monde de l’art et de la muséographie, l’objectif étant de mettre en présence et de favoriser les échanges entre ces différents types d’acteur.ice.s de l’étude des statues contestées.

L’école d’été accueillera douze participant.e.s sélectionné.e.s au terme de l’appel, sur deux journées combinant visites, ateliers théoriques (pour lesquels des lectures préalables seront à effectuer), et échanges avec des artistes et des professionnel.le.s des musées.

Les discussions auront lieu en langues anglaise et française; un.e traducteur.ice sera présent.e pour les faciliter.

Le logement et les repas seront pris en charge par l’organisation. Les transports seront à la charge des institutions d’affiliation des participant.e.s. Le projet pourra prendre en charge un nombre limité de billets de train, à hauteur de 200 euros maximum par billet aller-retour sur demande motivée. Les allocations seront faites en fonction de l’évaluation des besoins et de la pertinence pour l’atelier, et jusqu’à épuisement du budget. Le soutien prendra nécessairement la forme de l’achat des billets par l’équipe du projet, dès confirmation de la participation à l’atelier au mois de février.

Bibliographie

ALDRICH, Robert, Monuments et mémoires : les traces coloniales dans le paysage français, traduit par Ly-Lan Dill-Klein, Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, 2011.

ANDERSON Elizabeth S. et PILDES, Richard H., « Expressive Theories of Law : A General Restatement », University of Pennsylvania Law Review 148 (2000), 1503-1575.

ANTICHAN Sylvain, GENSBURGER Sarah, TEBOUL Jeanne, « La commémoration en pratique : les lieux sociaux du rapport au passé », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 3-4 : 121-122 (2016), 5-9.

BOUCHET, Renaud, TISON, Stéphane, LECOSSOIS, Hélène, LETORT, Delphine (dir.), Résurgences conflictuelles : le travail de mémoire entre art et histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021.

CAILLET Élisabeth, « Le monument d’Alger et Landowski », dans : Patrick Nardin éd., Archives au présent. Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2017, pp. 113-120.

CÉLESTINE, Audrey, « Sous les statues, la crise. Les destructions de 2020 en Martinique », Esprit 5 (2022), « Patrimoines contestés », 75-83.

FABBIANO, Giulia, MOUMEN, Abderahmen (dir.), Algérie coloniale. Traces, mémoires et transmissions, Paris, Le Cavalier Bleu, 2022.

FABRE, Daniel (dir.), Emotions patrimoniales, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2013.

GARCIA, Claire, Monuments de l’entre-deux-guerres : sculpture et architecture, Mont-Saint-Aignan, Presses Universitaires de Rouen, 2020.

JOHNSON, Nuala, “Cast in stone: Monuments, Geography and Nationalism,” Environment and Planning D: Society and Space, 13: 1 (1995), 51-65.

KELLEY, Robin D.G., Freedom dreams : the Black radical imagination, Boston, Beacon Press, 2022.

LAFONT, Anne, « Violences monumentales. Peut-on désarmer les symboles ? », Esprit 5 (2022), « Patrimoines contestés », 85-95. 

Lalouette, Jacqueline, Les statues de la discorde, Paris, Editions Passés/Composés, 2021. 

LEDOUX, Sébastien, Le devoir de mémoire. Une formule et son histoire, Paris, CNRS éditions, 2016.

LEDOUX, Sébastien, « Le “ devoir de mémoire”, fabrique du postcolonial ? Retour sur la genèse de la “loi Taubira” », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 118 (2012), 117-130.  

LEFRANC, Sandrine et GENSBURGER, Sarah, À quoi servent les politiques de mémoire ? Paris, Sciences Po Presses, 2017.

LESTER, Alan, Deny and Disavow: Distancing Britain’s Imperial Past in the Culture Wars, London, SunRise, 2022.

LOTEM, Itay, The memory of colonialism in Britain and France: the sins of silence, Cham, Palgrave Macmillan, 2021.

ROTHBERG, Michael. “Introduction: Between Memory and Memory: From Lieux de Mémoire to Noeuds de Mémoire.” Yale French Studies, 118/119 (2010), 3–12.

SOLBIAC, Rodolphe, La destruction des statues de Victor Schoelcher en Martinique : l’exigence de réparations et d’une nouvelle politique des savoirs, Paris, l’Harmattan, 2020.

TILLIER, Bertrand, La disgrâce des statues : essai sur les conflits de mémoire, de la révolution française à Black Lives Matter, Paris, Editions Payot & Rivages, 2022.