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Statue du général Leclerc, Pontoise

Jean-Claude Lescure

Le personnage

Victoire-Emmanuel Leclerc dirige l’expédition de Saint-Domingue en 1802. Il meurt sur place, son corps est rapatrié en métropole. Son beau-frère, Napoléon Bonaparte entreprend de célébrer l’officier qui a participé à la geste napoléonienne depuis le siège de Toulon. La statue, destinée à la crypte du  où doivent être glorifiés les grands serviteurs de l’Etat, est en 1816 transportée hors du Panthéon, donnée en 1819 à la sœur du général, Aimée Davout, qui l’offre en 1868 à la municipalité de Pontoise.

La statue s’intègre à l’origine dans un décor plus vaste, destiné à la crypte du Panthéon rendu au clergé par le décret impérial du 20 février 1806, à l’exception de la crypte qui reste dédiée aux Grands hommes : le monument funéraire doit accueillir les dépouilles des grands serviteurs de l’Etat, il est conçu par Jean-Guillaume Moitte. Pour honorer Leclerc, une statue en marbre blanc est commandée par Napoléon 1er à un sculpteur renommé, Frédéric Lemot (1772 – 1827), Grand Prix de Rome en 1790.

Caractéristiques artistiques

Frédéric Lemot réalise une statue de 3 mètres environ, qui représente Leclerc debout en grand uniforme, avec une cape aux épaules, tête nue, main droite sur la hanche, main gauche tenant son épée au fourreau touchant terre. Elle est posée sur un piédestal en pierre, octogonal, orné d’inscriptions sur ces quatre faces.

Sur la face avant est inscrit « Au général Leclerc, la ville de Pontoise, 1869 » ; la face latérale droite mentionne :

« LECLERC Victoire-Emmanuel,

né à Pontoise le 17 mars 1772

marié à Pauline Bonaparte

Sœur de NAPOLEON 1er

Le 26 prairial An V (14 juin 1797) »

La mention est suivie de l’énumération de ses grades militaires, avec en dernière phrase « Général en chef de l’armée de St Domingue. Mort dans cette colonie à l’âge de 30 ans le 11 Brumaire an XI ».

La face latérale gauche liste les campagnes militaires auxquelles il a participé, et la face arrière porte l’inscription suivante « cette statue, œuvre de Lemot, a été donnée à la ville de Pontoise par Mme la Maréchale Davout, princesse d’Eckmühl, duchesse d’Auerstaedt, née Leclerc, sœur du Général ».

La vie civique autour du monument

Lors de la Restauration, alors que l’église Saint-Geneviève est rendue entièrement au culte catholique par une ordonnance du 12 avril 1816, la statue est retirée du Panthéon, et la sœur du général, Aimée Leclerc, épouse du Maréchal Davout, en prend possession en 1819. Elle la conserve dans le patrimoine familial, en l’installant dans le jardin du Château de Montgobert (Aisne) près de Soissons : propriété du général Leclerc, elle a hérité du château dans le jardin duquel Pauline Bonaparte a fait construire par l’architecte Pierre Fontaine un tombeau pour y déposer le corps de son mari ramené de Saint-Domingue ; le tombeau de Montgobert est inachevé, les décors sculptés confiés à Laudier-Fontaine ne seront jamais mis en place. Quant au cœur du général Leclerc, il est placé dans une urne funéraire transmise d’abord à Caroline Murat puis à Aimée Leclerc-Davout. Lors de la vente du château, l’urne est remise par les héritiers aux Invalides pour être installée dans le caveau du Dôme, au niveau -1, dans un espace aujourd’hui fermé au public.

La statue a donc très rapidement voyagé : conçue pour la crypte du Panthéon, conservée des décennies durant dans le patrimoine familial, elle est finalement offerte en 1868 par Aimée Davout à la municipalité de Pontoise, pour honorer un enfant de la commune. Le Conseil municipal s’est lancé dans des travaux d’urbanisme importants pour remodeler son centre-ville et l’ouvrir vers le quartier où s’implante la gare de chemin de fer.

Pontoise sous le Second Empire connaît une transformation urbaine importante ; lorsque le train arrive, la compagnie des Chemins de Fer du Nord évite la ville, sur la rive droite de l’Oise et installe sur la rive gauche, dans la commune de Saint-Ouen L’Aumône les voies de chemin de fer pour la ligne Paris - Lille et la gare dénommée Saint-Ouen-lès-Pontoise (devenue par la suite « gare d’Epluches ») ouverte en janvier 1846. La ville historique qui domine le pays alentour est à l’écart, et la croissance urbaine se fait dans la commune rivale. Les Pontoisiens doivent traverser l’Oise pour aller prendre le train, symbole d’un déclassement de la cité. Or, en 1863, la Compagnie des Chemins de fer du Nord et de l’Ouest décide de la construction d'une ligne vers Dieppe, qui passe par Pontoise et la ville normande de Gisors avec qui les liens historiques sont rares, « un changement radical dans nos habitudes commerciales, dans le système de nos communications, dans nos moyens d’échanges, d’extension et d’attraction » selon le maire.

Cette décision conduit à la construction d’une nouvelle gare située dans la ville basse de Pontoise. Le plan de la ville est repensé dès 1863 : le maire Ernest Seré-Depoin propose en 1863 et 1864 de réaménager la ville. Le Conseil municipal du 14 mai 1865 entérine le projet qui doit « préparer les voies du progrès en exécutant les grands travaux publics ».

Les plans permettent de mesurer la réorganisation du réseau viaire, les destructions et constructions nouvelles. L’arrivée du train et la construction de la nouvelle gare se font dans la Ville basse jusqu’alors délaissée. C’est un territoire traversé par la rivière la Viosne, pour partie aménagée pour les lavandières et pour partie zone humide et marécageuse.

Le cadastre napoléonien de 1815 fige l’état des lieux : la cathédrale Saint-Maclou a été construite sur une hauteur, longée sur le côté sud par la Rue des Prêtres qui domine la basse ville d’une dizaine de mètres. Un escalier visible sur le plan permet de descendre vers la basse ville en gagnant la rue en contrebas. L’essentiel du système viaire de la ville à cet endroit est orienté Est-Ouest, sans axe direct Nord-Sud. Le grand œuvre de Seré-Depoin est l’inversion de ce plan, avec le percement de rues Nord-Sud pour relier la Cathédrale Saint-Maclou et la haute ville à la gare.

Désormais, au droit de la Cathédrale, dans l’ancienne rue des Prêtres aujourd’hui rue de l’Hôtel de Ville, un escalier rejoint la rue Impériale, aujourd’hui rue Thiers, qui débouche sur la place de la gare au Sud. Du point de vue de l’urbanisme, le sommet de l’escalier reste à aménager.

Aimée Davout offre la statue de son frère à la ville de Pontoise en 1868 pour une installation au sommet du nouvel escalier. Le don, source d’économie budgétaire, est souligné par le maire comme par la presse dans la notice nécrologique de Aimée Davout parue dans L’Echo de Pontoise en 1868. Les discours prononcés lors de la cérémonie d’inauguration soulignent également l’économie que permet ce cadeau. C’est donc presque par accident que Pontoise se retrouve avec une statue du général Leclerc : limiter les dépenses municipales, profiter d’un cadeau, et achever ainsi la construction du nouvel escalier.

1869 : une opération de communication impériale

L’équipe municipale souhaite faire du réaménagement urbain une opération de communication politique. L’inauguration de la rue, de l’escalier et de la statue a lieu dans un contexte politique local tendu : lors des élections législatives des 24 mai et 7 juin 1869, la circonscription de Pontoise a été remportée par un candidat opposant à l’Empereur, Antonin Lefèvre-Pontalis, ancien maire de la commune voisine de Taverny. Il a battu Eugène Rendu, candidat officiel du régime et siège au Corps législatif, dans les rangs de l’opposition. Il signe dès juillet « l’interpellation des 116 » qui réclame à Napoléon III un élargissement des pouvoirs législatifs de l’assemblée, concédé par l’Empereur qui accorde le droit d’initiative des lois à la nouvelle assemblée. Même si nous n’en n’avons pas trace à cette date, Lefèvre-Pontalis réprouve l’esclavage, et devient à sa création en 1888 secrétaire général de la Société antiesclavagiste de France. Dans l’opposition, Lefèvre-Pontalis fait publiquement savoir qu’il ne s’associera pas à la journée d’inauguration prévue à Pontoise le 10 octobre 1869, car le général Leclerc fut entre-autre un artisan du coup d’Etat du 18 Brumaire qui renforça les pouvoirs du Premier Consul. Lefèvre-Pontalis est donc un adversaire de l’Empire et de la municipalité, qui se prépare à une nouvelle échéance électorale, prévue pour mars 1871.

Une inauguration politique

La cérémonie d’inauguration organisée par l’équipe municipale vise à faire parler de la ville et de sa modernisation : l’objectif est atteint, puisque des journaux nationaux, comme Le Monde illustré ou L’Illustration évoquent en première page l’événement avec des gravures montrant la nouvelle rue, l’escalier et la statue. L’Echo pontoisien consacre dans son numéro du 14 octobre deux de ses quatre pages à l’événement.

Pour en faire un événement de portée nationale, le maire compte sur la légitimité dynastique affichée : la nouvelle rue qui mène de la Gare à la Cathédrale est baptisée « Rue impériale », la statue est celle du beau-frère de Napoléon Bonaparte, un militaire distingué lors des guerres consulaires et cheville ouvrière du coup d’Etat du 18 Brumaire. Autant d’éléments qui peuvent convaincre l’Empereur Napoléon III de montrer son soutien à l’équipe pontoisienne. Il ne se déplace pas en personne, l’événement est trop mineur, mais délègue son aide de camp, le général de division Baron de Béville, qui est accueilli à la descente du train aux cris de « Vive l’Empereur ». Il remonte la rue impériale passant en revue quatre-vingt-dix compagnies de pompiers et différentes fanfares municipales. La rue impériale est pavoisée de drapeaux, décorée d’écussons aux armes de Leclerc.

La famille Leclerc est présente, avec ses alliés, grands noms du récit impérial, les Cambacérès, les Bonaparte, le duc d’Auerstaedt, etc. Installés sur deux tribunes qui se font face, de part et d’autre de l’escalier et de la statue, le maire prononce un discours, ponctué de cris « Vive l’Empereur ». Béville répond au discours municipal : il insiste sur les soins portés aux malades de la fièvre jaune à Saint-Domingue par Pauline Bonaparte, occasion d’un parallèle avec l’action de l’Impératrice Eugénie : « comme aussi, de nos jours, nous avons vu l’auguste épouse de l’Empereur, l’Impératrice Eugénie, prodiguer aux malheureuses victimes du choléra les consolations et les secours ». Là encore, les cris de « Vive l’Empereur ! Vive l’Impératrice ! Vive le Prince impérial ! » ponctuent le discours.

Le banquet servi à 17 heures ne déroge pas à la célébration impériale, et pendant le dîner, des toasts sont portés par le maire à l’Empereur, à l’Impératrice et au Prince impérial, à l’exclusion de Leclerc. Celui-ci est évoqué par Béville qui lève son verre « à la mémoire du général Leclerc et de sa famille ».

L’inauguration de la nouvelle rue et de la statue sont donc bien d’abord une manifestation d’allégeance au régime impérial, avant d’être la célébration de Leclerc. L’organisation du discours du maire, Seré-Depoin, va dans le même sens ; il célèbre la modernisation de la ville, l’arrivée de train, et les nouvelles voies urbaines ; Leclerc n’est évoqué qu’en seconde partie, en relatant pour l’essentiel sa carrière militaire. La conquête de Saint-Domingue est limitée à quelques phrases : « A 28 ans, nommé général en chef de l’armée de Saint-Domingue, il se distingue dans cette grande colonie par les qualités d’administrateur et il combat avec une vaillance téméraire. Il s’illustre, dit l’Empereur, par la défaite d’une armée qui avait vaincu les Anglais. La mort vient l’arrêter là, à l’âge de 30 ans, ce vaillant général, qu’un avenir si brillant attendait à son retour en France ».

Saint-Domingue oubliée

L’expédition de Saint-Domingue et la geste de Leclerc sont reléguées au second plan, par un maire qui s’intéresse à l’histoire et la connaît (il fonde en 1877 la Société historique et archéologique de Pontoise, du Val-d’Oise et du Vexin qu’il préside jusqu’en 1901 ). Il n’occulte pas la biographie de Leclerc qui fait polémique depuis son décès. Il sait que le bilan de l’expédition menée par Leclerc à Saint-Domingue est contesté depuis longtemps. La littérature, y compris œuvre des officiers présents lors de l’expédition, souligne l’échec des opérations à Saint-Domingue. Seré-Depoin utilise une jolie formule, évasive : « sa mémoire n’a pas échappé à la torture biographique, mais l’histoire impartiale lui devant la postérité des répondants et des parrains assez haut placés dans le sentiment national pour qu’il dédaigne, sous son enveloppe de marbre, des attaques que repoussent suffisamment l’éclat de ses services et la noblesse de son caractère ».

Le général Leclerc n’est donc pas au centre des célébrations qui concernent d’avantage l’Empire et la vie politique locale. Or les actions de Leclerc à Saint-Domingue sont détestables, elles relèvent des crimes de guerre, conduisent à une défaite et à l’évacuation de l’île, après avoir rétabli l’esclavage aboli pendant la révolution.

L’inscription portée sur le piédestal nomme les campagnes militaires auxquelles il a participé, et célèbre le « pacificateur de Saint-Domingue ». L’inscription ne fait pas débat pendant 150 ans.

Contestations

Un cartel contemporain polémique

Dans le contexte des manifestations des néo-nazis à Charlottesville contre le retrait de la statue du général confédéré Robert E. Lee, le journaliste Vincent Manilève publie sur le site Slate.fr un article consacré à la présence de la statue Leclerc à Pontoise.  Il met en parallèle l’action des municipalités des anciennes villes négrières comme Bordeaux, La Rochelle ou Nantes qui ont matérialisé la mémoire de l’esclavage par des monuments et des cartels explicatifs. Pontoise n’est pas un port esclavagiste, mais possède la statue Leclerc. Vincent Manilève conclut son article par « la mairie de Pontoise, malgré plusieurs échanges, n’a pas pu trouver un interlocuteur pouvant m’éclairer sur le général Leclerc ». La statue n’est qu’une pièce de patrimoine, oubliée, et un impensé politique.

L’élection municipale de mars 2020 politise le dossier et la controverse gagne Pontoise après la mort de George Floyd tué par des policiers blancs le 25 mai 2020. Alors que le 7 juin 2020, la statue du négrier Edward Colston est déboulonnée par des militants antiracistes à Bristol avant d’être jetée dans le port, la protestation enfle à Pontoise et se focalise dans un premier temps sur la pelle Starck posée place de la Gare, au début de la rue Thiers, qui indique que Leclerc est « envoyé par Bonaparte sur « l’île de Saint-Domingue pour la pacifier. Il s’acquitta remarquablement de sa tâche, avant d’être terrassé par la fièvre jaune, en 1802 ».

Ce texte né dans les services de la municipalité, ne fait pas débat chez les acteurs locaux dans un premier temps, deux articles l'évoquent dans le journal Pontoise Mag en juillet2008 et novembre 2017.

Cette inscription n’est pas acceptable historiquement ; posée après le vote de la loi Taubira, elle relève du négationnisme historique. Ce texte devient un enjeu électoral lors de l’élection municipale du printemps 2020.

La Gazette du Val d’Oise interroge les candidats à l’élection municipale . Les points de vue divergent, selon un axe classique droite - gauche. La candidate, Stéphanie Von Euw, adjointe au maire sortant et investie par le parti Les Républicains, élude la question, « ma réponse est simple, il y a d’autres priorités ». Gérard Seimbille, premier adjoint en charge des finances dans la municipalité sortante, encarté au parti Les Républicains jusqu’en 2019, et candidat dissident, est sur une ligne identique : « je ne pense pas que ce soit une préoccupation des Pontoisiens qui ont bien d’autres priorités ». Le centriste Pascal Bourdou, tête de la liste « Nous Pontoisiens » qui regroupe des membres du Mouvement radical social libéral botte en touche, « N’étant ni spécialiste ni historien et au regard du peu d’éléments disponibles, il est difficile d’apporter une réponse objective ».

A gauche, Sandra Nguyen-Dérosier, candidate de la liste « Pontoise écologique et solidaire », soutenue par EELV, Génération.s, Place publique et la Gauche républicaine et socialiste, répond « nous demandons toujours l’avis des habitant(e)s dans le cadre d’assemblées citoyennes. A titre personnel, je ne souhaite pas cautionner la mémoire d’une personne qui a organisé un massacre ». Et Solveig Hurard, tête de liste « Pontoise à Gauche vraiment » qui réunit des militants du PC, du NPA et de la France insoumise, déclare : « La présence de la statue du général Leclerc qui surplombe la ville, mais surtout la présentation qui est faite de ce triste personnage, sont une honte pour Pontoise… La municipalité s’honorerait en rebaptisant dès à présent la rue Thiers en rue Toussaint-Louverture ». Le jeu d’acteurs est bien posé en 2020. L’élection est gagnée par Mme Von Euw avec trente élus ; la liste Seimbille obtient cinq élus, tout comme la liste Nguyen-Dérosier, tandis que la liste Hurard n’entre pas au conseil municipal.

La polémique publique prospère dans les mois qui suivent : utilisant un répertoire d’actions variées, la controverse rebondit lors des Journées du patrimoine de septembre 2021. Le piédestal de la statue est recouvert de tulle noire, des œuvres du peintre Roland Délélo sont posées et les opposants enfilent sur la pelle Starck un carton, qui ne dégrade pas la pelle, avec une légende rectificative . La municipalité annonce qu’elle porte plainte, déclaration non suivie d’effet, et fait savoir qu’une étude est en cours pour remplacer la pelle Starck, installée dans le cadre d’un marché public régi par ses propres obligations légales et son propre calendrier.

L’association « Pontoise à gauche vraiment » mène une nouvelle action : le 9 février 2022, des militants accrochent au cou de la statue Leclerc une pancarte de carton mentionnant « Qui est ce général Leclerc ? ».

Le 17 juin 2022, Solveig Hurard, présidente de Pontoise à gauche vraiment (PAGV), saisit le Tribunal administratif de Pontoise avec un mémoire. Il se fonde sur la demande faite le 18 février 2022 auprès de la municipalité pour le retrait de la pelle Starck et son remplacement par un texte nouveau. Sans réponse dans les deux mois, Solveig Hurard saisit le Tribunal administratif pour obtenir le retrait de l’inscription, « hagiographie d’un esclavagiste et d’un criminel de guerre, contraire à la loi du 21 mai 2001, susceptible de porter atteinte à la réputation de la ville de Pontoise et de ses habitants ainsi qu’un trouble à l’ordre public ». Le mémoire est complété par un deuxième texte remis au Tribunal administratif le 18 novembre 2022 qui présente l’intérêt de l’association à ester en justice, et qui se désiste de son action après les mesures annoncées par la Ville.

Futur et devenir possibles

La municipalité n’est pas restée inactive, elle se rapproche de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage pendant l’été, retire la pelle Starck en septembre et informe PVAG de ces décisions. Selon l’autorité municipale, après avoir consulté la Fondation, un nouveau texte est posé en 2023, communiqué au Tribunal administratif dans un mémoire en défense :

« Devant la gare construite en 1963 s’ouvre la rue Thiers qui, percée de manière haussmannienne sous Napoléon III, portait alors le nom de rue Impériale. Elle aboutit à un monumental escalier inauguré en 1869, au sommet duquel, a été érigée sous le 2nd Empire une statue du général Victoire-Emmanuel Leclerc, œuvre de François Lemot.

Né à Pontoise en 1772, le Général Leclerc s’était illustré, en 1796, lors de la campagne d’Italie que conduisait Bonaparte. Devenu l’époux de Pauline Bonaparte en 1797, il aida son beau-frère lors du coup d’Etat du 18 Brumaire. En 1802, il est envoyé dans la colonie de Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti) pour y rétablir l’ordre colonial ancien, après avoir chassé le général noir Toussaint Louverture du pouvoir. D’abord victorieux, il fait face à la rébellion des troupes locales qui refusent le rétablissement de l’esclavage, déjà effectif en Guadeloupe. Il meurt de la fièvre jaune le 2 novembre 1802. »

La polémique ne s’éteint pas et rebondit en le 13 février 2023 : la statue Leclerc est recouverte de peinture rouge, dans une action qui reste anonyme.

Le 28 mars 2024, les services municipaux posent enfin deux panneaux provisoires sur le mur de l’escalier, en contrebas de la statue, reprenant le texte élaboré avec la Fondation de la Mémoire de l’Esclavage.

Faute d’action rapide de la part de la municipalité, la controverse est née non pas directement de la statue, mais du cartel d’accompagnement. Son remplacement par un texte validé par la Fondation de la Mémoire de l’Esclavage n’a pas éteint la contestation qui a gagné l’existence même de la statue. La valeur symbolique de l’œuvre a changé : célébration d’un général d’Empire lors de sa commande et de son érection au Panthéon, souvenir dans le jardin du château familial près de la tombe du général, cadeau à une municipalité soucieuse d’économie en 1868 et d’une célébration d’un enfant de la commune, elle devient lors de son érection un lieu de mémoire négligé par les habitants et la municipalité. Le contexte international et la mise en question de la célébration des esclavagistes lui donne pour la première fois une véritable connotation politique dans la deuxième décennie des années 2000. La lenteur et l’indifférence de l’équipe municipale fait de la statue un objet politique.

Sources
Ernest Seré-Depion, Mémoire sur différents travaux publics à entreprendre dans Pontoise à l'occasion de la construction d'une gare dans la ville, présenté par M. Seré-Depoin, impr. de Renou et Maulde, Paris, 1863.
- Deuxième mémoire sur différents travaux publics à exécuter dans Pontoise, à l'occasion de l'établissement d'une gare nouvelle au centre de la ville, présenté par M. Seré-Depoin. La rue Impériale, Impr. de Renou et Maulde, Paris, mai 1864.
DE LACROIX, Pamphile (Général), Mémoires pour servir à l'histoire de la révolution de Saint-Domingue, par le lieutenant-général baron Pamphile de Lacroix, Pillet aîné, Paris, 1819.
DE LACROIX, Pamphile (Général), Mémoires pour servir à l'histoire de la Révolution de St-Domingue avec une carte nouvelle de l'île et un plan topographique de la Crête-à-Pierrot, Paris, 1820.
LEMONNIER-DELAFOSSE, Jean-Baptiste (Général), Seconde campagne de Saint-Domingue, précédée des Souvenirs historiques et succints de la première campagne, Brindeau, Le Havre, 1846 – 1850.
SARRAZIN, Jean, Mémoires du général Sarrazin, écrits par lui-même depuis 1770, jusqu’en 1848, Vaucaulaert Bruxelles, 1848.

Bibliographie
LALOUETTE, Jacqueline, 2018, Un peuple de statues. La célébration sculptée des grands hommes (France 1801-2018), Paris, Mare & Martin, p. 24, 472, 491.
LESCURE Jean-Claude, « Esclavage et statuaire. Heurs et malheurs du général Victoire Emmanuel Leclerc à Pontoise. L’homme qui rétablit l’esclavage à Saint-Domingue », Bulletin de la société historique et archéologique de Pontoise, du Val d’Oise et du Vexin, 2023, n° 88, pp. 71-83.